Camille Corot, Saturne et la Lune

Jean-Baptiste Camille Corot est un peintre français mort en 1875. Né le 16 Juillet 1796 à 01h30 à Paris, il s’avère pour l’astrologue un vrai cas d’école pour étudier la combinaison a priori antinomique de la Lune (maître du signe du Cancer sous lequel Corot est né) et de Saturne (fort dans son thème astral et maître du signe du Capricorne, à l’opposé du Cancer sur le zodiaque).

Nous allons voir à travers l’astro-biographie suivante comment Corot a toutefois réussi à concilier ces deux tendances astrologiques et a ainsi donné le jour à une œuvre à la fois bouleversante de sensibilité (et donc lunaire) et parfaitement structurée, raisonnée (et en cela saturnienne). Nous verrons également, que sa vie personnelle, elle aussi tiraillée par ces pôles planétaires opposées, fut nettement moins facile…

Le sensible et le sensé

Selon Odile Redon (1), Corot « appuie son rêve sur une réalité vue ». L’astrologue ne peut qu’acquiescer puisque, de son côté, la première chose qu’il remarque, en comparant l’œuvre au thème natal, est l’opposition Lune/Saturne qui domine, qui « surplombe » la carte de naissance.

Or, en astrologie, la Lune concerne symboliquement tout ce qui a trait au nocturne, à l’inconscient et, bien entendu, aux rêves et à l’imaginaire. D’un autre côté, Saturne, planète traditionnellement antinomique de la Lune, évoque a contrario le visible, le concret, le rationnel et le conscient. L’aspect principal du ciel de l’artiste relierait donc – les mettant en quelque sorte dos à dos – la Lune et Saturne, l’imaginaire et le rationnel.

Voyons combien cette opposition planétaire fut sans doute déterminante chez cet artiste qui, quoique souvent décrit comme un joyeux camarade, comme le suggère son ascendant Gémeaux (légèreté et plaisir de communiquer), connut sans doute tout au long de son existence une grande souffrance intérieure. Parfois sous-estimée, elle pourrait toutefois être une clé majeure pour comprendre sa vie et son œuvre.

 

Thème natal de (Jean-Baptiste) Camille Corot

 

Toute opposition évoque en astrologie une tension interne considérable, un équilibre à atteindre entre les valeurs symbolisées. Celle existant chez Corot entre la Lune et Saturne renverrait donc à une forte dissonance entre ce qu’il existe de plus inconscient, instinctif et émotionnel (le rêve étant l’accès royal à ces zones) et ce qui existe de plus terre-à-terre, conscient et lucide.

C’est encore l’opposition entre le sensible et le sensé, entre les besoins les plus viscéraux (être protégé, entouré, aimé) et les besoins les plus rationnels (comprendre, connaître ses limites, savoir renoncer, être autonome, acquérir la sagesse). C’est enfin, et peut-être surtout, une sorte de schisme entre le monde lunaire de l’enfance et le monde saturnien de la maturité (Saturne, maître du temps, gouverne l’âge adulte, l’expérience de la vie). Corot n’a-t-il d’ailleurs pas peint pour arrêter le temps ? La déclaration suivante le laisse fortement penser : « Ma peinture n’a pas bougé, elle est toujours jeune (…) mais Mlle Rose et moi, que sommes nous [devenus] ? » (09)

Peut-on aller jusqu’à dire que Corot a fait partie de ces personnes qui « refusent de grandir » ? Cette théorie séduit lorsqu’on songe à l’ascendant (complément de la personnalité) en Gémeaux, signe voisin du Cancer et représentant l’adolescence. Que penser par exemple du fait que Corot ne se maria jamais, n’eut pas d’enfant, n’accéda jamais lui-même au statut de « père » (bien que ses proches le surnommaient affectueusement « papa Corot ») ? Ou de cette anecdote rapportée par Jean Selz (2) : « à soixante seize ans, on le verra s’amuser à sauter à la corde avec des enfants » ? Comment interpréter la nostalgie qui marque nombre de ses peintures et évoque la mélancolie profonde que Corot portait en lui ? Les racines de la mélancolie se trouvent dans un attachement excessif au passé et à l’enfance ; or, pour l’astrologue, les fortes dissonances touchant la Lune (dont l’opposition à Saturne) peuvent se traduire notamment par ce que l’on nomme le « complexe de Peter Pan (3) ». Etait-ce le cas Corot ? Comme fréquemment chez les natifs du Cancer, on pourra au moins avancer qu’il garda toujours « son âme d’enfant ».

Quand l’enfant ne veut (peut) pas grandir

On sait en réalité peu de chose sur l’enfance de Corot. Ses parents étaient commerçants (négoce de mode) et il reçut apparemment une éducation classique pour son époque et son milieu. Deux faits attirent toutefois l’attention lorsqu’on étudie le thème.

En premier lieu, le fait que Corot ait été mis en nourrice les quatre premières années de sa vie et qu’il ait ainsi été prématurément « sevré » de ses parents. Or, si ce type de séparation brutale était dans les mœurs de l’époque, elle a pu « activer » ce que sous-tend l’opposition dominante Saturne/Lune : la peur d’être abandonné et un sentiment de frustration dans la relation à l’autre (en premier lieu la mère avec qui le nourrisson est en fusion). Parce que ces premières années sont incontestablement déterminantes dans la construction de la psyché, on peut s’interroger quant à l’influence sur sa vision des femmes de cette période d’isolement affectif. On peut imaginer qu’un sentiment d’abandon se soit alors douloureusement mis en place. Ses premiers rapports aux femmes (sa mère ou sa nourrice) purent être perçus comme frustrants voire psychologiquement violents (la Lune est conjointe à Mars). Malheureusement pour lui, mœurs sociales obligent, l’expérience se répéta plus tard lorsqu’il fut mis en pension… En aura-t-il déduit que ses parents n’étaient guère friands de sa présence et qu’il les encombrait ? Une hypothèse qui serait certes dans la logique astrologique mais qu’on ne peut affirmer faute de témoignages sur ce sujet…

Contentons-nous de souligner simplement que, marqué par le signe du Cancer, Corot était vraisemblablement instinctivement animé de l’esprit de famille, et que plus que tout autre enfant du besoin d’être aimé et protégé par ses parents ou son groupe ; le traitement qu’il reçut, même s’il était habituel, ne correspondit donc certainement pas à ses attentes « innées » et put créer chez lui un malaise initial le conduisant à regretter longtemps une enfance marquée par la carence maternelle. On pourra à ce propos étudier le portrait que Corot fit de sa mère (Madame Corot, vers 1845) : on y voit une femme assez inexpressive, distante, comme détachée de la réalité (4), peu maternelle. Mais le détail qui retiendra l’attention tient dans la posture , qu’on retrouvera d’ailleurs dans bien d’autres portraits de femme faits par l’artiste (5) dont la récurrence des motifs, des sujets et des poses est bien connue : Madame Corot tient sa main sur son ventre comme pour le cacher, pour dissimuler sa matrice, son ventre de femme, sa maternité… Corot avoua d’ailleurs que sa mère lui avait un jour dit « Que tu es commun ! Comment ai-je pu faire un enfant comme cela ! » (11)

 

Jean-Baptiste Corot - Madame Corot née Oberson (1835)

 

L’autre fait qui semble important réside dans le peu de respect, voir le mépris, que le père de Corot nourrissait envers les artistes en général. Alfred Robaut note d’ailleurs que ses parents le « décourageaient chaque jour moralement » (6), essayant de le dégoûter de sa vocation de peintre. En fait, on peut même se demander si le fait que son père se soit finalement décidé à lui verser une rente pour peindre n’est pas une nouvelle manière de se débarrasser de ce grand enfant gênant en finançant son départ pour l’Italie, l’éloignant ainsi, une fois de plus, du noyau familial.

Dans tous les cas, la figure du Père est littéralement écrasante dans la vie de Corot et les différents commentateurs de sa vie n’ont jamais manqué de souligner le côté « enfant » qu’il garda toute sa vie. Pierre Caillet dit par exemple « Cette tutelle sous laquelle Corot vécut jusqu’à un âge avancé, est peut-être l’une des causes qui expliquent la perpétuelle jeunesse de son esprit (…) le sentiment qu’il était le petit garçon (…) redoutant les semonces familiales » (9). Corot lui-même se confortait d’ailleurs dans cette immaturité parce qu’elle nourrissait son art : « Je prie tous les jours le bon Dieu qu’il me rende enfant, c’est-à-dire qu’il me fasse voir la nature et la rendre comme un enfant » (11)

Il est évident que son rapport aux femmes en fut déterminé (grande maladresse auprès de la gente féminine puis renoncement total à l’idée de mariage). Quant à sa tabagie notoire (une vingtaine de pipe par jour), Freud y aurait vu sans conteste une illustration du complexe oral, soit un besoin frustré de la « tétée ».

Nomadisme et obsession

Fuite en avant ? Habitude de ne se sentir nulle part chez lui ? Désir de découvrir le monde et de nourrir son art ? Le besoin de voyager de Corot relève sans doute de toutes ces raisons et, d’un point de vue astrologique, de son ascendant Gémeaux : en effet, ce signe est réputé avoir besoin de sans cesse bouger et rencontrer de nouvelles têtes. Pourtant, si le peintre passa une grande partie de sa vie – jusqu’à sa mort en réalité – sur les routes, ce ne fut ni un globe-trotter (ses déplacements se concentrèrent sur les pays frontaliers et en France) ni même sans doute un « nomade dans l’âme ».

Selon le mot de Vincent Pomarède, il a nourri « son imagination grâce aux travaux de plein air » (1) et cela laisse bien entendre que l’impulsion créatrice restait avant tout intérieure, que si Corot avait besoin de renouveler son milieu, c’était en réalité pour alimenter son inspiration intime, son fantasme et ses rêves. Le mouvement créatif part donc bien du subjectif et de l’inconscient (Lune) pour aller vers l’extérieur et l’objectif (Saturne, ascendant Gémeaux). Ce qui apparaît aussi, c’est que Corot recherche davantage la variation que la diversification, que son attention se concentra principalement sur un nombre réduit de sujets, de paysages, d’ambiance. Là, Mercure dans le signe du Cancer y est peut-être pour beaucoup : cette position définit en effet un mental plutôt introverti et subjectif car l’esprit puise directement sa structure dans l’inconscient et certains critiques contemporains de Corot ne manquèrent d’ailleurs pas de noter le caractère monotone, obsessionnel de son œuvre. Jean Selz avance d’ailleurs qu’il « fut un esprit sédentaire dans un corps toujours en mouvement » (2), belle tournure qui pourrait qualifier nombre de Cancer ascendant Gémeaux…

Joyeux luron ou triste sire

Difficile de situer Corot dans sa vie relationnelle car si son entourage direct témoigne de son amabilité, on sait aussi que l’homme pouvait être secret, renfermé, facilement impressionnable. Là encore, on y verra volontiers l’influence du Cancer qui fait que la maturité fut probablement tardive et assise par de longues réflexions solitaires.

Il faut ici sans doute clairement dissocier deux comportements : l’un apparaissant dans ces rapports amicaux, sociaux et professionnels et relevant de son Ascendant Gémeaux (rieur, détendu, léger) ; l’autre s’exprimant dans toutes les relations plus empreintes d’émotionnel, en famille et en amour. Ce dernier relevant également plus particulièrement de sa nature Cancer (réserve, timidité, hyper sensibilité).

Théophile Sylvestre remarque « Corot s’exagère parfois à lui-même la gaieté de son caractère, lorsque je vois la mélancolie si souvent présente dans ses ouvrages et l’accent de tristesse que par intervalles prennent ses traits » (7). Etienne Moreau-Nélaton fait la description suivante : « Corot est un grand enfant, timide et gauche. Il rougit quand on lui adresse la parole. Devant les belles dames qui hantent le salon maternel, il est emprunté et s’enfuit comme un sauvage ». Et Pierre Caillet de conclure « La femme a orné sa vie de loin, comme une grande interdite » (12).

Une œuvre Lunaire et saturnienne

L’œuvre, la vie et le tempérament sont ici indissociables : l’extrême sensibilité de Corot, sa pudeur, son innocence préservée, on la retrouve à travers ses toiles. Avant tout sensible à la nature (les Cancers le sont souvent), son art ne se veut pas flamboyant mais discret, tout en douceur, en nuance, se méfiant selon sa propre expression de tout « tohu bohu », reprenant souvent les mêmes sujets pour les décliner toujours plus en profondeur, cherchant à restituer la sérénité, la paisibilité des lieux et des gens, laissant transpirer dans son oeuvre – probablement malgré lui – une indéchiffrable mélancolie, bien sûr décuplée dans ses portraits de femme. Corot aime la vie (il ne réalisa d’ailleurs que trois natures mortes dans toute sa carrière !) mais sans doute peut-on avancer qu’il s’en sent aussi un peu exclu, légèrement « hors du monde », ayant ainsi une place privilégiée pour l’observer (toujours aspect Lune-Saturne).

L’homme solitaire transmet à sa peinture une douleur secrète qui s’adresse au cœur plus qu’à l’œil mais qui baigne son œuvre, œuvre que l’on peut globalement qualifier de « nostalgique », cet adjectif étant lui-même communément attribué aux natifs du Cancer.

De son vivant, Corot devint célèbre pour ses paysages mais son œuvre comporte aussi des centaines de Portraits découverts tardivement. Ces portraits féminins attireront spécialement l’attention : sa série dite des « liseuses » (un vingtaine de toiles figurant toute une femme avec un livre ouvert près d’elles mais ne lisant pas !) comme celle dite des « rêveuses » est symptomatique de sa perception de la femme, toujours pensive, les yeux dans le vague, l’esprit ailleurs : c’est la femme qu’on ne peut aborder, toucher, avec qui on ne peut pas communiquer car bien qu’à portée de main, elle semble irrémédiablement ailleurs, se dérobant, par son absence, à l’amour ; décourageant par son attitude froide tout tendresse, tout élan spontané.

 

Jean-Baptiste Corot - La Madeleine lisant (1854)

 

Son amour, il le déversera donc tout entièrement, le reportera, sur la nature (« je vais courtiser la belle Dame » disait-il en allant peindre) et à travers ses paysages dont le traitement va évoluer au fil du temps selon l’axe central Lune/Saturne : la simplicité et la sensibilité lunaire prendront peu à peu pas le pas sur l’influence saturnienne : tandis que la mélancolie et le gris prennent de l’ampleur, le trait s’estompe, la touche est moins sèche, plus ronde et plus vaporeuse… La subjectivité s’affirme dans l’expérience de l’indicible et de la contemplation. De Saturne, il gardera par contre toujours l’attrait pour l’ordre (structure du tableau), la rigueur du travail, une technique picturale solide au service de l’impression première. Cette synthèse entre l’objectif, le réel et le subjectif et la sensation, Corot en a d’ailleurs conscience : « Tout en cherchant l’imitation consciencieuse, je ne perds pas un seul instant l’émotion qui m’a saisi. Le réel est une partie de l’art ; le sentiment complète. » (12)

Corot, un grand coeur hors du temps

Nous ne saurions oublier de mentionner la générosité rare de l’artiste qui fut surnommé « le Saint Vincent de Paul de la peinture » tant il se montra prodigue et ne sut jamais refuser un don, un prêt, un service. Pourtant, ce grand cœur vivait aussi, comme c’est fréquent chez les lunaires, dans son monde, dans son rêve… Détaché de tout, y compris de l’argent. Gustave Geffroy (10) précise d’ailleurs qu’il ne lisait pas les journaux, ignorait tout du monde en dehors du microcosme de la peinture et rachetait ses toiles au lieu d’essayer de les vendre !

Corot pourtant n’en marqua pas moins profondément son temps. Si en faire le père de l’impressionnisme peut sembler abusif, car l’homme était attaché au passé, aux maîtres classiques et qu’il n’eut jamais l’ambition de révolutionner son art, il n’en est pas moins le précurseur de ce mouvement, mais le précurseur involontaire, naturel. Car pour cet artiste lunaire, le ressenti, l’émotion et donc l’impression première comptait plus que tout : « ne jamais perdre la première impression qui nous a ému » écrit-il sur un feuillet d’album.

(1) : in De Corot à l’art Moderne : souvenirs et variations, propos cités par Vincent Pomarède. Ed. Hazan. (2) : in Camille Corot. ACR Edition. P 155 pour le première référence, page 8 pour la seconde. (3) : Le complexe, ou syndrome, de Peter Pan (dont un exemple moderne nous est donné par feu Michael Jackson) caractérise des adultes qui ont peur de grandir, émotionnellement instables, ayant peur de s’investir dans une relation sentimentale et souvent incapable d’assumer une intégration sociale classique (un « travail d’adulte ») mais développant souvent en parallèle un certain génie créatif dû à l’exacerbation de leurs facultés imaginaires. Pour mémoire, Michael Jackson présentait pour sa part une opposition Soleil/Lune. (4) : cf. plus loin ce qui est dit sur sa série de portraits des liseuses et des rêveuses (5) : on retrouve par exemple cette posture féminine dans : l’italienne d’Albano en grand costume (1826/1827) ; Jeune italienne débout (vers 1825) ; La petite Jeannette (vers 1848) ; La supérieure du monastère (1852) etc. (6) : in Galerie contemporaine des illustrations françaises, 1882. (7) : in Histoire des artistes vivants, 1853. (9) : in Souvenirs intimes de Corot par Henry Dumesnil. (10) : La vie de Corot, texte paru dans la revue « The Studio » , n° spécial hiver 1902. (11 ): Propos de Corot publiés par Etienne Moreau-Nélaton dans « Corot, raconté par lui-même ». 1924. (12) : Extrait des notes personnelles de Corot, in « Corot ; raconté par lui-même et pas ses amis » (Pierre Caillet Editeur)

Bibliographie sélective :

– Jean-Baptiste Camille Corot de Madeleine Hours chez Ars Mundi – De Corot à l’art Moderne : souvenirs et variations. Collectif. Ed. Hazan. – Camille Corot de Jean Selz. ACR Edition – Corot ; raconté par lui-même et pas ses amis. 2 tomes. Pierre Caillet Editeur. – ABCdaire de Corot. Vincent Pomarède et Olivier Bonfait. Flammarion.

 

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1 thought on “Camille Corot, Saturne et la Lune

  1. merci pour cet article assez complet et très intéressant en ce qui concerne les dissonances à la Lune et le complexe de Peter Pan il serait intéressant de faire la même étude pour un « cas » féminin!!!
    bravo

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